L’urologue Patrick Krombach, de l’hôpital Robert Schuman Kirchberg (HRS) le confirme : « Le diagnostic de cancer active le réflexe de survie de l’être humain, et ce réflexe refoule les projets d’enfant. » Or un cancer et son traitement ont des incidences de grande ampleur sur la fertilité des patients.
C’est pourquoi il est important de ne pas attendre pour aborder le sujet et informer les personnes concernées des incidences du cancer sur la fertilité et des mesures de conservation de la fertilité qui s’offrent à elles. Mais cela n’arrive encore que trop rarement ou trop tard. « Du point de vue de l’urologue, sensibiliser est le plus important, explique le Dr Krombach, car la fertilité est souvent vite reléguée aux oubliettes. Alors que dans cette situation d’urgence en particulier, il est important de prendre le temps d’aborder le sujet et de prendre les mesures adéquates ». En tant qu’urologue, il conseille de donner aux patients du temps et une certaine latitude, et de faire preuve d’empathie à leur égard.
Le grand public ne disposant que peu de connaissances sur les incidences d’un cancer sur la fertilité, il est crucial de consulter des spécialistes du domaine. Les oncologues traitants devraient orienter les personnes affectées vers des confrères spécialisés dans le domaine, afin qu’elles se renseignent sur les démarches concrètes. Les incidences du cancer sur la fertilité varient d’un patient à un autre, tout comme les mesures à prendre.
Fonction :
- Urologue à l’Hôpital Robert Schuman Kirchberg (HRS)
- Initiateur et coordinateur du Centre urologique HRS
Etudes :
- Diplôme de Docteur en Médecine à Paris (Université Pierre et Marie-Curie)
- Spécialiste en urologie (Ärztekammer Nordbaden)
Un cancer et son traitement ont des incidences de grande ampleur sur la fertilité des patients
La gynécologue Caroline Schilling suit au Centre de Stérilité et Médecine de Reproduction du Centre Hospitalier de Luxembourg (CHL) des patientes dont le projet d’enfant est remis en cause par un diagnostic de cancer. Ce centre d’oncofertilité prend en charge principalement des jeunes filles et des femmes de moins de 40 ans, dont la plupart sont atteintes de lymphome, de leucémie ou d’un cancer du sein. Le Dr Schilling voit dans le traitement de ces affections trois facteurs de risques majeurs. Selon elle, le plus important est le type de traitement. Une radiothérapie ou une chimiothérapie peut réduire considérablement les chances de grossesse ultérieure. Cela dépend cependant des médicaments administrés dans le cadre de la chimiothérapie car ils n’affectent pas tous obligatoirement la fertilité.
Fonction :
- Médecin spécialiste en Gynécologie-Obstétrique et Médecine de la Reproduction au Centre de Stérélité et Médecine de Reproduction du CHL
- Chef de service clinique du Service National de PMA
Etudes :
- Diplôme de Docteur en Médecine à l’Université Catholique de Louvain
- Formation de médecin spécialiste en GynécologieObstétrique à l’Université de Liège
- Formation complémentaire en Médecine de la Reproduction à l’hôpital de la Citadelle à Liège
- Diplôme Universitaire de Thérapeutique en Stérilité à l’Hôpital Antoine Béclère à Clamart
Une coopération étroite entre les spécialistes de la médecine reproductive et les oncologues est indispensable
« Lorsque nous connaissons les type et composition exacts du traitement, nous pouvons rassurer les patientes en amont si aucune conséquence n’est à craindre », explique Caroline Schilling. Le deuxième facteur de risque majeur est l’âge de la patiente. « Une chimiothérapie à 38 ans impacte bien plus lourdement la fertilité qu’à 25 », indique la gynécologue.
Pour comprendre comment la thérapie affecte la fertilité, un petit rappel s’impose. Dans l’ovaire se trouvent des follicules, qui constituent la réserve ovarienne. A chaque cycle menstruel, un follicule parvient à maturité et libère un ovule. Avec l’âge, la réserve ovarienne diminue. L’échographie permet de compter les follicules. En deçà de 5 par ovaire, la réserve ovarienne est faible, et au-delà de 12 par ovaire, la réserve est élevée. Certaines chimiothérapies, notamment dans le traitement des lymphomes, n’affectent que les follicules en cours de maturation. Le cycle en cours est alors perturbé, mais la réserve ovarienne reste en grande partie intacte. D’autres traitements médicamenteux peuvent quant à eux affecter la réserve ovarienne dans une mesure telle que les ovaires ne fonctionnent plus après la thérapie.
L’âge jouant en l’occurrence un rôle si prépondérant, le centre du Dr Schilling ne prend normalement en charge que des patients de moins de 40 ans. « Nous avons déjà accueilli des personnes atteintes de cancer qui étaient âgées de plus de 40 ans et auxquelles nous avons dû ensuite dire que nous ne pouvions vraisemblablement plus rien pour elles. Cela représente une double peine pour les personnes concernées », explique la gynécologue. C’est pourquoi il est important de communiquer en toute franchise dès le diagnostic par l’oncologue, plutôt que de faire de fausses promesses.
Le troisième facteur de risque est le facteur temps, qui conditionne les options qui s’offrent aux patientes. Lorsqu’il y a risque d’infertilité, la cryoconservation d’ovocytes, voire d’embryons est notamment envisageable.
- Est-ce que mon traitement peut
me rendre stérile/incapable
de concevoir ? - Y a-t-il d’autres thérapies, qui ne
rendent pas stérile/incapable
de concevoir ? - Est-ce que je peux prendre des
mesures préventives pour réduire
le risque de devenir
stérile/incapable de concevoir ? - Est-ce que je pourrai, une fois le
traitement terminé, encore
avoir/concevoir des enfants ? - Me conseilleriez-vous de recourir
sperme pour le cas où le
traitement me rendrait stérile/
incapable de concevoir ?
Pour cela, il faut disposer de temps. Pour un grand nombre de diagnostics de cancer du sein, par exemple, on aurait environ 14 jours pour le faire, d’après le Dr Schilling. Mais quand un traitement doit démarrer sans attendre, il est aussi possible de prélever des tissus ovariens et de les « congeler ». « Il arrive souvent qu’on nous envoie des patientes à des fins de préservation de la fertilité trop tard, voire pas du tout », déplore la gynécologue. Celles qui nous consultent viennent en général un à deux jours après le diagnostic. Elles ont eu un peu de temps pour digérer la nouvelle et se préparer. « Il est bien sûr paradoxal de parler de mort et, dans la foulée, de procréation, mais nous donnons ainsi espoir aux patientes en les amenant à se projeter dans l’avenir. » Outre le prélèvement d’ovocytes ou de tissus ovariens, il existe une autre méthode de prévention : l’injection d’agonistes de l’hormone de libération des gonadotrophines pour inhiber l’activité des ovaires ou des testicules et ainsi minimiser les effets de la chimiothérapie. On présume qu’une activité hormonale réduite protège mieux des effets secondaires de la thérapie. Selon le Dr Schillling, cette méthode ne résout cependant pas le problème en profondeur car seuls les follicules en cours de maturation sont protégés et non pas la réserve. Un effet secondaire positif est cependant l’arrêt des menstruations pendant la chimiothérapie.
Une azoospermie, l’absence de spermatozoïdes dans le sperme, peut parfaitement être la conséquence d’une chimiothérapie
Contrairement à nos pays voisins, comme l’Allemagne, le Luxembourg a encore beaucoup de choses à améliorer d’après la gynécologue. La population est insuffisamment informée sur l’oncofertilité, et la pandémie a donné un coup de frein à la collaboration avec les oncologues. De plus, la Caisse nationale de santé ne prend pas encore en charge à 100 % les coûts de certaines interventions, comme le prélèvement de tissus ovariens, qui sont ensuite acheminés par transporteur jusqu’au CHU de Bruxelles, où ils sont traités et conservés.
Biologiste de la reproduction et directeur du Laboratoire national de procréation médicalement assistée au CHL, Thierry Forges est spécialiste de la fertilité masculine. Il considère lui aussi qu’il y a un retard à combler : le plus grand danger réside dans le fait que de nombreux patients ne sont pas même informés de la possibilité de congeler leur sperme avant d’entreprendre une chimiothérapie, qui peut restreindre la production de spermatozoïdes, voire l’arrêter. Une azoospermie, c’est-à-dire l’absence de spermatozoïdes dans le sperme, peut parfaitement être une conséquence d’une chimiothérapie. Ce traitement a une incidence sur les cellules qui se divisent très vite.
La spermatogenèse, c’est-à-dire de la production de spermatozoïdes, fait intervenir des cellules souches appelées cellules germinales qui se multiplient rapidement pour devenir des spermatozoïdes et ainsi former la réserve. Certaines chimiothérapies entravent ce processus si bien qu’une fois le traitement fini il n’y a plus de spermatogenèse ou celle-ci est réduite. Selon l’urologue P. Krombach, il est fort probable que les médicaments administrés dans le traitement du cancer des testicules, par exemple, aient des incidences sur la fertilité. Il en va de même du traitement du cancer de la prostate. Les agents alkylants plus particulièrement comportent un risque majeur.
A la différence de la congélation d’ovocytes, la congélation de sperme est d’une grande simplicité, n’a aucun effet secondaire, et est parfaitement indolore. C’est pourquoi elle devrait en fait aller de soi, estime le Dr Krombach.
La fertilité féminine est entravée par trois facteurs de risque :
- le type de chimiothérapie / radiothérapie
- l’âge de la patiente
- le facteur temps
Fonction :
- Médecin biologiste responsable du laboratoire national de PMA au CHL
Etudes :
- Etudes de médecine à l’Université du Luxembourg, puis à Nancy (Université de Lorraine)
- Internat de spécialité en Biologie Médicale
- Diplômes d’Université en biologie appliquée à la procréation, thérapeutique de la stérilité et gynécologie médicale (Nancy, Paris XI, Strasbourg)
- Titulaire d’un doctorat d’Université en Biologie Cellulaire et d’une Habilitation à Diriger des Recherches
Chez les très jeunes patients et patientes, c’est un peu plus compliqué. Le Dr Krombach constate : « C’est un sujet épineux lorsqu’on a en face de soi un enfant ou un adolescent accompagné de ses parents. » Mais il y a encore plus compliqué. Par exemple, lorsqu’il n’est plus possible de recueillir du sperme par masturbation, des spermatozoïdes peuvent être prélevés dans les tissus des testicules dans le cadre d’une opération chirurgicale. Les patients peuvent aussi être confrontés à un dilemme moral, explique le Dr Krombach. Certains peuvent avoir une certaine prédisposition génétique au cancer, ce qui implique pour eux le risque de transmettre cette prédisposition à leurs enfants. « Mais cet aspect ne doit pas nécessairement être abordé immédiatement, rassure l’urologue, on peut toujours décider plus tard si l’on veut ou non utiliser le sperme, et l’on ne sait pas encore tout ce qui sera possible du point de vue médical dans quelques années. »
S’agissant du cancer des testicules précisément, le patient est souvent pressé par le temps quand il faut pratiquer l’ablation des testicules. Il demeure important de laisser au patient et à sa ou son partenaire le temps de réfléchir à leurs projets d’enfant. P. Krombach souligne cependant que l’ablation d’un testicule n’a guère d’incidences sur la capacité à procréer lorsque la chirurgie n’est pas suivie d’une chimiothérapie. Les patients qui optent pour la congélation de leur sperme peuvent le faire gratuitement au CHL. Le Luxembourg n’en reste pas moins à la traîne d’autres pays en matière d’oncofertilité. Par exemple, cette mesure à destination des malades de cancer ne figure pas encore dans la nomenclature de la Caisse nationale de santé et ne peut donc pas être remboursée.
Pour cette raison et pour éviter que les patients, qui ne peuvent pas se le permettre soient pénaliser, le CHL ne facture pas cette mesure pour le maintien de la fertilité actuellement.
La priorité, les trois spécialistes sont unanimes sur ce point, est d’améliorer la sensibilisation à l’oncofertilité. Ce n’est pas parce que d’autres aspects de la maladie sont plus urgents et plus graves que la fertilité doit être en reste. Les oncologues doivent aborder le sujet à temps et les autorités compétentes doivent intensifier la sensibilisation afin que le grand public intègre mieux le lien entre la maladie et la fertilité. Car ce dont les malades de cancer ont le moins besoin est de constater qu’ils ont inutilement compromis leurs projets d’enfant faute de disposer des informations nécessaires.
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